Je me pose aujourd’hui la question de savoir ce qui définit la solidarité, notamment à travers la pétition. N’est-ce qu’une notion d’empathie qui nous fait aller vers celui qui est dans la difficulté ou peut-on envisager que cela crée une telle résonance en nous, une sorte de sentiment de vivre un traumatisme à travers l’autre, qu’il nous est impossible de refréner ? Il est évident qu’il s’agit d’une manifestation altruiste, qui fait se désintéresser de son propre sort pour se projeter dans celui d’un autre, qu’il soit individuel ou collectif.
La solidarité est une manifestation de résistance à la violence sociétale, celle qui est organisée pour nous cantonner à notre sort de citoyen lambda. Il est vrai que le malheur s’abat souvent de manière aléatoire, notamment lorsque c’est la nature qui est à l’oeuvre, la malchance au détour d’un chemin mais il nous touche parfois parce qu’il est organisé pour nous toucher. Le pouvoir des pouvoirs de décider à notre place.
Vous mobiliser en votant pour que Dominique soit validé
Il y a longtemps, ça m’est arrivé
Je me souviens de la fin d’année scolaire 1990-1991, en juin. Je terminais ma première année d’enseignement, en tant que suppléant, dans un collège. J’avais initié un gigantesque projet culturel, sûrement pour prouver et me prouver que j’étais à ma place. Or, faute de m’être inséré dans le fonctionnement cadré de l’Education Nationale, le chef d’établissement me signifie qu’il ne me gardera pas l’année suivante. La fête d’école bat son plein, un jour d’été chaud comme les précédents. Ma chorale intervient et se répand la rumeur que je me fait virer. Stupéfaction ! Les collègues, les parents et leurs enfants sont estomaqués : le disque produit avec les élèves, avec un budget de l’ordre de 20 000 euros, entièrement équilibré me met dehors.
Une pétition, dont je n’ai pas connaissance circule rapidement, je gagne même, tout à fait par hasard, le séjour ne Angleterre à la loterie de l’association des parents d’élèves. Je déménage alors, utilise le garage de mes parents comme garde-meuble. Quelques jours plus tard, sensibilisé par la pétition, le chef d’établissement me rappelle pour me demander de revenir enseigner l’éducation musicale au collège, à la condition que je sois plus près des lignes de conduite réglementaires. J’accepte immédiatement et me résous à remplacer le rêve que je pouvais apporter par une convenance bien pensante, certes institutionnelle, mais nécessaire à ma survie de professeur.
Reconversion et investissements
Trente ans ont passé. Fin juin 2019, Dominique C., enseignant en technologie expérimenté, en reconversion après la perte de son contrat il y a deux ans, père au foyer de 4 jeunes enfants, déplacé à plus d’une heure de route de son domicile, n’est pas validé sur cette reconversion. Dominique a perdu la totalité des ses heures d’enseignement en lycée professionnel il y a deux ans. Professeur en Génie Électrotechnique, lui et un de ses collègues dans la même situation, se voient donner la possibilité d’une reconversion comme professeur de technologie en collège. L’enseignant, dans la cinquantaine, est expérimenté, et a choisi, avec son épouse, de ne travailler qu’à temps partiel pour s’occuper de ses jeunes enfants.
Mon collègue s’est investi dans son nouvel établissement en animant une activité jardinage bénévolement le midi. Les élèves se responsabilisent, découvrent pour la plupart le rythme des saisons. L’établissement s’enjolive de plantations, fierté des jeunes collégiens.L’an dernier, Dominique se porte candidat pour représenter son secteur disciplinaire auprès du chef d’établissement dans le Conseil Pédagogique du collège. Par ailleurs, Dominique participe à des projets interdisciplinaires tels qu’un EPI sécurité routière en relation avec un établissement d’enseignement professionnel, les Handipiades 2020 avec un professeur de français spécialiste des problèmes « dys », un bassin aquaponie avec des financements extérieurs.
De la difficulté de passer d’une discipline à une autre
Une reconversion, c’est un parcours du combattant. Il faut avoir l’aval des inspecteurs des matières d’origine et de destination, trouver un support pour exercer la nouvelle discipline, espérer une formation complète qui ne vient pas ! Les débuts dans la matière sont difficiles, et on peut le comprendre. La progression et l’accompagnement des élèves sont différents en collège, le programme est exigeant. Dominique sera inspecté une première fois, lors de l’année scolaire 2017-2018. Tout n’est pas encore parfait. Une visite conseil a lieu en octobre 2018. La salle de technologie a été complètement repensée et les travaux ne sont pas terminés. L’enseignement n’y est pas aisé, les ordinateurs pas encore tous branchés. Dominique fait tout pour que l’outil de travail qu’il partage avec deux collègues de technologie soit opérationnel le plus vite possible en participant aux travaux de finition.
Le micmac administratif, et au bout…
En mai 2019, lors du mouvement des maîtres, le Rectorat a fait savoir que le maître n’est pas validé. Or, depuis la visite conseil d’octobre, Dominique a appliqué avec conscience le programme, a rempli régulièrement son cahier de textes et donné aux élèves toute la rigueur nécessaire à leur apprentissage de la matière, notamment avec des documents nombreux, établis et photocopiés pour chacun.
Le chef d’établissement et les représentants des maîtres questionnent l’administration et le corps des inspecteurs et souhaitent que Monsieur Dominique C. soit évalué en fin d’année scolaire pour qu’une décision juste soit prise à son égard. Deux inspecteurs sont donc diligentés, contraints et forcés puisqu’ils n’avaient pas pris la peine d’organiser la visite par eux-mêmes. L’annonce se répétera de manière informelle et officielle (officieuse ?) à la mi-juin, sans communication de rapport et aboutit sur une proposition d’affectation dans l’ancienne discipline enseignée : le résultat, en commission d’affectation, tombe. Dominique ne sera pas définitivement validé en technologie. Il est donc réaffecté dans son ancienne discipline, l’électrotechnique, à plus d’une heure de son domicile sur un service susceptible de disparaître dans les toutes prochaines années, avec à la clé une nouvelle reconversion à entreprendre. D’où la pétition lancée pour Dominique.
Et pourtant, il tourne… et plutôt bien !
Aux dires de ses deux autres collègues qui travaillent avec lui et qui l’aident dans sa progression, Dominique était voué à être très rapidement un professeur de technologie compétent et investi, apportant son expérience de l’enseignement professionnel dans une matière tournée vers les métiers technologiques.
En définitive, Dominique est un enseignant qui a prouvé sa compétence en tant que professeur de l’enseignement professionnel, qui s’est investi dans une école de la confiance prônée par Monsieur Blanquer, ministre de l’Education Nationale. A la rentrée, un professeur remplaçant viendra sur son support, puisque personne n’y a été nommé, et avec toute la bonne volonté qu’on peut espérer de lui, étant nouveau dans la discipline, devant apprendre la gestion de classe en même temps que la conduite du programme, aura toutes les difficultés à enseigner la technologie. Dominique, à qui il a été signifié son incapacité à enseigner la technologie un peu vite, laisse donc les futurs élèves dans une perspective de formation à la matière bien inférieure à celle qu’il proposait ! Est-ce là l’intérêt suprême des élèves brandi par l’administration et le corps des inspecteurs ?
Alors, que notre collectif porte l’individu
Collectivement, nous décidons donc de demander, au travers d’une pétition, que, dans une profession pour laquelle les vocations deviennent de plus en plus rares, Dominique puisse avoir la possibilité de continuer à donner la chance à ses élèves de technologie de profiter de sa grande expérience en le réintégrant sur son poste actuel à la rentrée. Ni le chef d’établissement, ni les représentants des enseignants n’ont, à ce moment de l’année, la main pour peser sur la décision. Seule une solidarité dénonçant cette injustice peut faire prendre conscience à la Rectrice et au Ministre du côté inhumain et inapproprié de cette situation.
Vous mobiliser en votant pour que Dominique soit validé
Le collectif, encore le collectif !
Je ressens une terrible amertume. Si des dizaines de personnes ne s’étaient pas mobilisées il y a trente ans pour une pétition, je ne serais pas en train de vous parler, maintenant, au travers d’une longue carrière épanouissante consacrée au bénéfices d’élèves qui m’ont rendu au centuple l’intérêt que je leur ai porté. Je n’aurais pas pu m’engager pour défendre les acquis de la profession, être élu dans les instances représentatives de mon académie, bref accomplir mon destin, avec les qualités de pugnacité que m’ont légués mes parents.
Dominique a encore tant à donner au collège. Ses élèves ont la chance d’être portés par une si belle personne, un professionnel aguerri, un compagnon de route pour les collègues qui travaillent avec lui. Je ne sais ce qui est le plus tragique dans l’histoire, l’incapacité de l’administration à cerner toute la dimension de Dominique ou ce qui lui arrive. Car cette interrogation pose la question du traitement de dizaines de milliers d’enseignant qui sont floués tout au long de leur carrière. Promotions qui tardent par ajustements successifs par manque de considération du mérite et de l’investissement, mutations impossibles alors que la fatigue se fait durement sentir et la longue route à faire chaque jour plus épuisante, réformes décrétées par les ministres successifs qui espèrent laisser un nom dans l’histoire de l’éducation nationale sans se préoccuper du sort des élèves et de leurs professeurs.
En espérant une fin heureuse
Ce papier, qui reprend la trame de la pétition dont le lien se situe juste ci-dessous, est la manifestation d’un seul espoir : celui que Dominique puisse avoir la chance que cette pétition lui soit aussi profitable que celle dont j’ai bénéficié en début de carrière. Soit dit en passant, dans l’établissement, ce n’est que la deuxième fois en bien plus de trente ans qu’on en arrive à une telle extrémité. Non pas que l’injustice soit rare, mais qu’elle prenne des proportions aussi néfastes pour un maître titulaire est de trop.
Terminons par une grosse pensée pour tous nos collègues non titulaires, remplaçants d’un jour ou d’une année, pour qui l’injustice vient frapper à la porte systématiquement. Il est difficile de faire quelque chose pour eux lorsqu’un enseignant titulaire est nommé sur le support qu’ils occupent ou qu’un maître revient de maladie ou de formation. Nous les incitons tous à donner la priorité à l’obtention d’un concours d’accès à l’échelle de rémunération des professeurs, certifiés ou agrégés, en espérant qu’ils ne seront pas rejoints, comme Dominique, par une situation dans laquelle Ubu rend visite à Kafka.