Harcèlement à l’école : des traumatismes difficiles à percevoir, de lourdes séquelles

L’éducation nationale a lancé une campagne de sensibilisation au harcèlement à l’école. Nous pourrions dire enfin, mais nous nous contenterons de tant mieux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et annoncent 10 % d’élèves harcelés dont 6 % sévèrement.

L’impact sur la confiance en soi, sur la santé mentale et physique, sur le bien-être à l’école, sur la construction de soi pour devenir un adulte équilibré, est redoutable.

 

Le phénomène concerne toutes les circonstances au cours desquelles un jeune est confronté à la vie de groupe. École publique, enseignement privé, colonies de vacances, club de sport ; toute réunion publique peut devenir prétexte à l’acharnement d’un collectif d’enfants ou d’adolescents contre un seul congénère. Pour prévenir la souffrance d’êtres soumis à la vindicte des autres, chacun doit être attentif dans son rôle d’éducateur.

Parents, enseignants, surveillants et directeurs, éducateurs sportifs sont les premiers à devoir porter un regard des plus vigilants sur une souffrance constatée, même passagère.

La chose n’est pas nouvelle. La littérature nous fournit de nombreux exemples. Nous nous arrêterons à un extrait de Mémoires d’un fou, de Gustave Flaubert, dans lequel il décrit le rapport à sa différence mise à l’index par son entourage lorsqu’il était à l’école:

« J’y vécus donc seul et ennuyé, tracassé par mes maîtres et raillés par mes camarades. J’avais l’humeur railleuse et indépendante, et ma mordante et cynique ironie n’épargnait pas plus les caprices d’un seul que le despotisme de tous. Je me vois encore assis sur les bancs de la classe, absorbé dans mes rêves d’avenir, pensant à ce que l’imagination d’un enfant peut rêver de plus sublime, tandis que le pédagogue se moquait de mes vers latins, que mes camarades me regardaient en ricanant. »

Singularité d’une intelligence, malchance d’en manquer, apparence physique hors norme : autant de choses qui prédestinent au harcèlement.

Il ne faut pas oublier qu’un enfant victime de violences psychologiques connaîtra d’énormes difficultés pour grandir et se construire, parce que les autres s’approprient son espace personnel et nient son droit d’exister.

Bernard Lampert, dans son livre Désamour, paru en 1993 aux éditions du Seuil, souligne qu’il s’agit, dans ce cas, d’organiser « un meurtre psychique : faire en sorte que l’enfant ne soit rien. » Il continue sur cette constatation : « pas de trace, pas de sang, pas de cadavres. Le mort est vivant et tout est normal ». Bernard Defrance écrit en 2000, dans son livre « La violence à l’école » (Editions Syros) que c’est le caractère banal du harcèlement qui le rend intolérable.

L’élève esseulé, n’arrivant pas à s’affirmer, représente la proie idéale. Les victimes sont souvent des enfants ou des adolescents timides, sensibles et calmes. Le harcelé présente, la plupart du temps, un refus de la violence et du recours à celle-ci. Les sévices subis sont suivis d’un sentiment de honte, de reproches dont on s’accable de s’être laissé faire, d’avoir plié.

Dans cette configuration, l’élève est incapable de se révolter. Une spirale infernale se met en place chez le jeune harcelé, touchant son manque de confiance et l’opinion négative qu’il a de lui-même.

Il faut impérativement que l’on refuse l’idée que ce qui se passe dans les cours de récréation n’est que le reflet de la société. L’école doit être un lieu d’accueil pour tous, et bien plus encore, un endroit privilégié où n’importe quel élève peut se sentir en sécurité, sûr de pouvoir s’épanouir et devenir un adulte abouti.

Cette campagne de sensibilisation au harcèlement l’école est la bienvenue, mais espérons qu’elle sera suivie des moyens nécessaires à sa disparition.

Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
Publications: 184