Mais la tricherie est-elle si nouvelle que cela ? Elle a été associée à la félonie, au double-jeu, à l’appât du gain ou du pouvoir par le passé. Même à son petit niveau, le quidam se prête à ce sport pour se sentir gagnant.
Ma grand-mère, immigrante de la première heure en 1920, ne savait ni lire ni écrire. Elle avait accumulé un trésor d’objets tous plus inutiles les uns que les autres en jouant sur les foires, à la loterie. Le principe était d’acheter un certain nombre de petits rouleaux fermés par une bague, dont le bonimenteur arrivait à retrouver à tout coup le gros lots, pour une certaine somme. Ma grand-mère avait bien compris le système et piochait innocemment au hasard dans le plateau un nombre de tickets pouvant tenir dans ses mains. Pour 10 achetés, elle en avait pris le double. Elle augmentait donc, à l’insu du forain, ses chances de gagner. Je l’ai vue un jour se faire prendre et trouver comme excuse qu’elle ne savait pas compter, en remettant la poignée de petits rouleaux dans la boîte. Au tirage suivant, elle avait majoré sa prise de quelques pépites savoureuses… Le hasard, le bon sens populaire et le miroir aux alouettes composaient un cocktail que je trouvais fascinant. J’admirais l’habileté de cette vieille femme qui bravait l’interdit avec un aplomb que je n’ai toujours pas actuellement !
Je me suis rendu compte, depuis, que mon aïeule était vraiment une amatrice inoffensive ! Nous avons eu la télévision dans notre foyer, et le feuilleton du journal du soir nous a bercé au rythme des scandales financiers de toutes sortes. Mon père nous disait : « On ne peut pas devenir très riche si on n’a pas volé quelqu’un… » et il ajoutait toujours, fataliste : « Tout le monde ne peut pas être riche, mais tout le monde peut être pauvre ».
Ces deux madeleines me rappellent que le rapport à la possession existe chez tous, avec plus ou moins de détachement, que la fascination de la richesse fait vivre celui qui ne sera jamais riche et que tricher met du piment dans la vie, rend dégourdi. Combien de générations d’hommes se sont aguerries en passant au dessus d’un mur pour aller marauder une poignée de prunes ? L’enfant n’était pas plus riche, le propriétaire de l’arbre pas plus pauvre et la société avait hérité d’un adulte plus débrouillard.
Ce qui me gêne aujourd’hui, c’est que la fraude s’appelle spéculation, qu’elle est associée à l’esprit de compétitivité. Et ceux qui la combattent la courtisent : comment peut-on envisager un taux de plus de 80% de réussite au baccalauréat sans un hold-up sur les résultats réels, en remontant les moyennes ? Pourquoi faire de la banque la plaque tournante de la santé économique du monde lorsqu’on sait que les coffres sont remplis de fumées spéculatives ?