Le 15 décembre, les enseignants ont choisi de manifester leur mécontentement vis à vis du projet de décret d’évaluation de leur carrière. Ce projet fait suite à la consultation qui a eu lieu fin mars début avril 2011, conçue sous forme de groupes de discussion gérés par le cabinet Alixio dirigé par Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy (qui a pris récemment une retraite intéressée… voir l’article de Marianne du 24 novembre).2900 personnes se sont inscrites entre le 22 et le 30 mars 2011 à partir d’un lien sur I-Prof, intranet réservé aux enseignants du Public, 1900 dans un groupe complémentaire en « miroir ». Les participants ont en moyenne 43 ans et 10 mois d’âge, 60 % issus du second degré, 32 % du premier degré, 8 % des personnels de direction et quelques inspecteurs. L’anonymat a été instauré par la seule communication d’une adresse mail et d’un pseudo.
Pendant 5 jours, les inscrits ont participé à une série de tests et questions. Au moins 80% des volontaires sont venus une fois et une baisse de fréquentation est à noter les 4ème et 5ème jours ! Le rapport est consultable sur le site du Ministère de l’Éducation Nationale.
Quelques réactions en préliminaire
Il est étonnant que l’étude, même si la volonté était de prouver son impartialité, ait été confiée à un ex-conseiller du Président de la République, et à travers lui à un cabinet privé.
Par ailleurs, le système de recrutement des sondés est basé sur le volontariat, un anonymat à minima qui ne permet pas de juger des origines des inscriptions. Afin de pouvoir favoriser les résultats des sondages nous pourrions suggérer à l’IFOP, IPSOS ou autre TNS Sofres de lancer un appel à témoin pour répondre à des questions « sensibles », sur le nucléaire par exemple. Il ne me semble pas que la déontologie de la méthode serait respectée !
De plus, 2900 personnes sur près d’un million donne comme pourcentage de 0,3 % des personnels. Pour préparer des mesures qui conditionnent plus de 40 ans de carrière, le procédé est un tantinet léger ! Ensuite, quelles garanties a-t-on sur la répartition géographique ou par type d’enseignement (collège, lycée généraux, technologiques et professionnels) ?
Enfin, l’étude ne fait pas mention du partage homme/femme qui est un élément indispensable.
Cette étude sonde les personnes volontaires selon une répartition des questions que nous ne discuterons pas tant le recrutement choisi affaiblit la cohérence des résultats. Par contre, quelques pistes sont lancées sur l’évaluation, notamment un ratio comme suit :
Inspection à 50% (cours 35% + entretien 15%), chef d’établissement 20%, mutualisation des moyens et travail en équipe 20% et implication dans des projets pour les élèves 10%. La part belle est laissée aux échanges et conseils qui ne seraient pas évalués…
Constats
La possibilité de pouvoir s’améliorer au travers « d’un contrat de progrès » et d’une réelle formation continue complète les éventualités relevées, sans oublier un rôle accru de la fonction de conseil des inspecteurs et la mise en place d’un dispositif d’auto-évaluation.
Ressortent aussi la nécessité de distinguer les activités hors de la classe en marge des obligations statutaires, d’adapter le regard sur l’enseignant au vu du contexte d’enseignement (élèves difficiles, fin de carrière…), et de privilégier l’entretien et l’échange à la note.
Dans ce cadre établi, il est important, toujours d’après le rapport, de mettre en place des actions de remédiations si nécessaire, et de moduler l’avancement au vu des évaluations. En conclusion de cette brève analyse, les participants avouent à 24% trouver la méthode de travail proposée pas très satisfaisante ou pas satisfaisante du tout. Une minorité qui jette le trouble sur la portée des procédés utilisés.
Rejet unanime
À la première lecture de ce rapport, les réactions ne se sont pas fait attendre. La plus surprenante concerne les chefs d’établissement qui s’étonnent que le problème soir pris à l’envers, comme l’affirme Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, le premier syndicat des chefs d’établissement, interrogé par le Café Pédagogique le 18 octobre dernier :
« Le ministère met en avant une évaluation qui présuppose une évolution du métier qui n’a pas eu lieu. On demande d’évaluer un métier au contenu non défini. C’est difficile ! ».
Il ajoute que « cette évaluation ne peut pas aller sur les aspects disciplinaires. Un chef d’établissement n’est pas en mesure de juger un cours de maths par exemple ». Quant à l’évaluation à partir des progrès des élèves, P. Tournier estime que « ça n’a ni queue ni tête ». « Pourquoi les élèves d’une classe progressent-ils en maths ? Parce qu’ils ont de bonnes bases ou à cause de leur professeur ? »
Patrick Roumagnac, secrétaire général du SIEN, principal syndicat des inspecteurs de l’éducation nationale, confirme dans la même édition du Café Pédagogique ces aberrations de prise en compte du contenu disciplinaire et de l’évaluation sur les progrès des élèves.
Les syndicats d’enseignants se sont également insurgés contre le projet de décret proposé. Il ne reprend que la part administrative de l’étude, au demeurant fort incomplète et discutable, du cabinet Alixio, et surtout donne une part prépondérante aux chefs d’établissement, allant à l’encontre même du désidérata de ces derniers.
La carrière des enseignants se trouverait ainsi tronquée, « au mieux », d’environ deux années par le nouveau calcul des bonifications. Lorsqu’on sait que le ministre Chatel s’est fait le champion de la revalorisation des carrières des enseignants, on a du mal à saisir, sauf si on imagine les économies faites sur le dos de professeurs déjà parmi les moins bien payés selon les estimations de l’OCDE.
Pistes de propositions
Les organisations représentatives ont mis en avant les manquements cités ci-dessus et ont exigé que le débat porte sur ce qui doit être évalué avant de décider de qui doit avoir la charge des éléments à évaluer, pour savoir, in fine, ce à quoi devrait servir cette évaluation.
La déconnexion entre l’avancement et de l’évaluation est une nécessité pour garantir l’égalité des promotions, alors que le côté infantilisant des inspections doit dans le même temps disparaître.
Le travail d’équipe pourrait être pris en compte ainsi que l’ensemble des tâches effectuées par les enseignants. Le croisement entre les différentes parties (supérieur hiérarchique, l’inspecteur et l’intéressé…) doit être la base de l’évaluation.
Les revendications portent sur un avancement basé sur ce qui se pratique de plus avantageux actuellement (le Grand Choix, plus « rapide » que l’ancienneté et le Choix), avec un accès pour tous à une fin de carrière reconnue en terme de salaire ( et de conditions d’exercice du métier).
Le dialogue doit porter sur les critères objectifs de reconnaissance de l’investissement individuel. Pour cela, il faut commencer par le commencement, c’est à dire la redéfinition des missions des enseignants, qui tienne compte des réalités nouvelles d’enseignement ainsi que le contenu « réaliste » du système d’évaluation.
Ces ceux corollaires sont indissociables de l’effort que doit faire la nation en donnant de véritables moyens à la mesure de l’ambition d’une école de la réussite. Les états qui favorisent la qualité de l’accompagnement des jeunes se préparent un avenir prometteur, basé sur un solide apprentissage nécessaire à l’accomplissement du citoyen non seulement au travail, mais dans sa vie personnelle.