Ce matin, en entrant dans ma classe, j’ai été assailli par une odeur, pas vraiment désagréable, mais redoutablement puissante. La moquette, puisque je suis le seul à en avoir dans mon établissement, avait été shampooinée samedi matin. J’ai rencontré la femme de ménage, un peu avant mon premier cours, pas peu fière de son travail, qui m’a assurée que les odeurs corporelles prendraient très vite le dessus. En attendant, j’ai failli tourner de l’œil plusieurs fois, et la concentration des élèves s’en est vivement ressentie. Après la blagounette à propos d’un changement d’eau de toilette, il a fallu se résoudre à la réalité du terrain. Et finalement s’y faire, dans le feu de l’action.

Cette aventure, parce c’en est une pour le nez, pose la question de la pollution, et à l’école elle est multiple. C’est indéniable, elle est partout, à la mode, là où on ne l’attend pas, et comme l’autruche bien nommée, plutôt là où on n’a pas envie de la trouver !

Laissons les pollutions chimiques aux allergologues, cancérologues et autres. Je préfère m’intéresser à une autre invasion qui devrait nous sembler insupportable : la loghorromanie ! Nous sommes infestés de mots, de pseudo-idées, de commentaires, d’analyses en tous genres, de comparatifs, pour commencer avec les plus nobles. Nous avons aussi droit aux onomatopées, aux phrases sans verbes, aux angliconneries du type : « en charge de », directement et littéralement dérivé du « in charge of »… Tout cela dans un flot de décibels compressés pour pouvoir mieux atteindre nos oreilles fatiguées. Heureusement il y a l’image pour nous consoler. Elle est en HD,3D, couleur vivid… Et là, il y a le miracle de la TNT, qui, depuis qu’elle est sensée être passée chez tous sans problème, n’arrive pas chez nous dans son entièreté. Donc pollution ajoutée des images qui se figent, doublée de ce chuintement métallique qui déchire le tympan.

Revenons aux mots, ceux qui s’appauvrissent, qui appauvrissent, qui redondent, qui aliènent. Tronquées, martyrisées, triturées les syllabes sont couchées sur la feuille. C’est maintenant l’œil qui fatigue, parce que la grammaire et l’orthographe ne sont plus une priorité que pour celles et ceux qui la maîtrisent correctement. J’ai reçu des centaines de mail, d’enseignants aussi, et surtout, qui donnaient mal à la tête. Pas de ponctuation mais des fautes, et pas seulement d’orthographe, de goût, c’est là le pire. Comment peut-on cerner les fautes de goût ? Simplement lorsqu’on sait que ce qu’on voit ne reflète pas la personnalité de l’expéditeur, mais simplement sa peine à se faire comprendre.

Je termine avec les mots intimes, ceux dont on a besoin pour communiquer avec les gens qu’on aime. Ils ont grandi, se sont développés avec le rallongement de la scolarisation. Quelques emprunts, des fioritures : à la bonne heure. Et puis, patatras, il est arrivé une manière moderne d’apprécier l’autre en le kiffant. Tout un pan de mon romantisme exacerbé s’est effondré avec ce terme, au demeurant sympathique, mais pas esthétique, surtout lorsqu’il est accolé au mot bouffon…

Personne n’est obligé de croire sur parole que Verlaine avait une langue magnifique et ciselée mais lorsque je me souviens des vers que déclamait plusieurs fois par semaine mon père – j’étais alors émerveillé, sans vraiment tout comprendre, la magie opérait – j’en ai encore des frissons.

Le ciel est, par-dessus le toit,
            Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
            Berce sa palme.
Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
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