Train Fantôme, la nouvelle pièce d’Éric Métayer, du plaisir frissonnant !

Une soirée théâtrale à la Gaîté Montparnasse, pour apprécier la pièce et ses acteurs. J'y étais fin septembre.

Arrivés à la caisse du petit théâtre Gaîté Montparnasse on nous fait faire demi-tour et il nous est proposé de descendre quelques mètres la rue de la Gaîté et de longer, à gauche, la rue Vandamme, pour nous faufiler par une entrée dérobée. La porte passée, nous tairons l’accueil qui fait partie des secrets à garder pour ménager le suspens de la pièce. Nous y sommes, la représentation de Train Fantôme débute.

Ou plutôt hoquette, toussote… la salle qui vient de s’éteindre se rallume et des cris épouvantables s’élèvent de derrière les portes qui viennent de se fermer. Le maître de cérémonie, en la personne de Christophe Laubion, apparaît, tel un gueux sorti de Pirates des Caraïbes et nous englobe, dans sa présentation, dans l’atmosphère glauque qui s’installe. Nous serons les figurants, les témoins errants du passé. Et ce n’est pas anodin : tout au long de la pièce nous aurons l’impression forte de vivre avec les acteurs et que la salle vibre d’elle même de leur jeu. Le procédé est habile, pas besoin de chauffer le public, il est invité de suite dans l’aventure. Et cela fonctionne à merveille.

Effets (spéciaux) garantis

À nous les situations déjantées, les tableaux décalés, les péripéties décousues d’un héros malgré lui. Comme dans la précédente réalisation de Gérald Sibleyras et d’Éric Métayer, les 39 marches, les acteurs sont tout à tour personnage principal et accessoiristes, second rôle ou élément du décor. La richesse de la prestation vient de ce côté caméléon qui vous étourdit et vous garde le sourire sur le visage entre deux éclats de rire. Parce que c’est drôle, bien sûr, on s’esclaffe, mais pas seulement. La poésie n’est jamais bien loin et les décors se succèdent, changés en temps réel, comme une sorte de Deus Machina de théâtre de poche. C’est tout simplement bien pensé, efficace et suffisamment improbable pour qu’on se mette à y croire, comme dans un rêve, ou plutôt dans un cauchemar. (La mer déchaînée est une grande pièce d’étoffe agitée sur toute la surface de la scène, les portes s’ouvrent comme des matriochkas, sur le château de Dracula dans une perspective étonnante…)

L’histoire n’est pas l’intérêt essentiel de la pièce, elle n’est qu’un prétexte pour dérouler des scénettes, des sketchs, des numéros de foire, de music-hall et narre une histoire dont Dracula est le catalyseur. Tout cela semble ne pas avoir de rapport, de s’enchaîner sans logique, d’être une succession d’idées géniales sans transition. Mais non, il ne faut pas s’arrêter à cette facilité qui veut qu’aujourd’hui tout apparaisse limpide, au premier degré et en relation avec son quotidien : on vient au théâtre pour se détendre, pour trouver l’échappatoire aux tracas en succombant à la mode, au prestige ou au vedettariat. Nous plongeons ici dans les entrailles de nos peurs ancestrales pour nous en moquer, pour rire de nos frayeurs, pour exorciser cette mort et cette folie qui nous guettent.

Les acteurs ? au top !

Le mot qui revient le plus souvent à la fin du spectacle est  » énergie « . Il en faut pour tenir à bout de voix et de cabrioles le scénario exigeant pour les artistes. Dorel Brouzeng-Lacoustille, outre qu’il sait jouer la comédie et tenir la réplique enjouée à ses aînés, se déchaîne à deux reprises en nous agrémentant d’un breakdance époustouflant.

La seule femme du casting, Andréa Bescond ne se contente pas non plus de jouer la comédie, elle se meut sur scène comme une diva d’Opéra. Andréa danse, se contorsionne, gesticule avec force aussi bien qu’elle emplit l’espace de son talent d’actrice.

Yamin Dib a une présence comique et théâtrale au timing parfait, à la diction précise et volubile. Son compère, Jean-Philippe Bèche, Dracula, (et accessoires…) joue aussi, en début de pièce, un notaire plus véreux que nature, un régal.

Christophe Laubion, quant à lui, a la classe que révèle sa seule apparition. Sa voix est multiple, son timbre chaud porte sans effort apparent. Son personnage de médecin trouillard, profiteur, a un côté Diafoirus-diafoireux. C’est l’âme du théâtre que nous amène cet acteur. Le jeu de Christophe Laubion, est sobre et intense tout à la fois, élégant toujours même dans la dérision des multiples seconds rôles qu’il tient comme les autres. Le retrouver en motte de gazon n’est pas franchement hollywoodien, mais le côté aristocratique qu’il donne à la touffe d’herbe emplit d’aise. En restant à la fin du spectacle, sur le trottoir, j’ai pu le saluer. La main est chaude et sincère, forte et ferme. On sait pourquoi ses personnages transpirent de vérité et de vie.

Alors, on y va ?

La pièce de théâtre est une réussite grâce au jeu des ses acteurs qu’il faut absolument aller voir même s’il manque un petit quelque chose par rapport à la précédente mise en scène d’Éric Métayer des 39 marches : sa propre présence sur scène. Ceci dit, son absence permet de mettre en lumière, celle du théâtre, le talent de cinq comédiens qui nous emmènent, le temps d’une soirée, dans la magie du Train Fantôme. Le titre représente bien le labyrinthe de notre subconscient, titillé avec humour durant une heure trente de plaisir frissonnant.

Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
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