L’écriture manuscrite, dépassée ? Oui, si elle ne s’adapte pas à l’émergence des technologies numériques.

Bientôt la fin de l'apprentissage de l'écriture cursive à l'école ? (Flickr/cybrarian77/CC).
Bientôt la fin de l’apprentissage de l’écriture cursive à l’école ? (Flickr/cybrarian77/CC).

Les annonces de la suppression de l’apprentissage de l’écriture cursive (attachée) reviennent régulièrement ces derniers temps. Tout d’abord, avec une volonté manifeste d’être en avance sur son temps, 45 États des États-Unis ont décidé de reléguer la plume et l’encrier, ou plutôt le stylo à bille, au rang d’accessoire. La Finlande, à son tour, manifeste la volonté de consacrer l’acquisition de l’expression écrite principalement au clavier d’ordinateur ou de tablette. Le script (l’écriture manuscrite en caractères d’imprimerie) existera encore, mais il y a fort à parier que la prise de note manuelle sera abandonnée au fil du temps.

Chacun des gouvernements ayant pris la décision radicale de ne plus enseigner l’écriture cursive y trouve de nombreux avantages. Le Conseil national de l’éducation finlandais assure que désormais « savoir correctement dactylographier est une compétence essentielle« . Il argumente en ajoutant : « Le changement sera certes une transformation culturelle majeure, mais savoir utiliser un clavier devient maintenant plus important. »

La continuité des idées

Des soupçons pourraient se porter sur les lobbyings informatiques qui auraient réussi à convaincre des décideurs de passer au tout numérique. Sans écarter cette hypothèse, les pays déjà concernés ont eu une réflexion qui les projette loin dans l’avenir.

Il faut se rappeler que les Finlandais, au contraire de ce qui se passe en France, où les réformes se succèdent de deux ans en deux ans, avaient décidé de réformer leur école en consacrant une vingtaine d’années à l’évolution des pratiques. Ils ont au moins l’avantage de la continuité des idées.

Le virage de toute une civilisation

Les extrêmes, comme toujours, sont dangereux. Se couper trop rapidement de ses racines, notamment l’écriture à la main, risque de se révéler traumatisant. Condamner une évolution vers une pratique majoritaire du clavier creusera irrémédiablement le fossé entre les générations connectées, les plus jeunes, et celles qui le sont moins ou pas du tout.

Dans ce dilemme qui accompagne le virage de toute une civilisation vers la maîtrise technologique, il est indispensable de faire preuve de discernement et d’intelligence.

L’écriture, de tout temps, s’est affranchie des traditions orales. Parfois le prolongement de la parole, parfois le support de la langue parlée, le texte a pris pendant des siècles une place incommensurable. Souvenons-nous que les copistes furent d’abord des artistes, maniant la science de la calligraphie avec une subtilité jamais égalée. La démocratisation de cette écriture a accompagné celle de la lecture dans un élan frénétique de volonté d’alphabétisation du monde.

Il est question, aujourd’hui, des bienfaits de l’apprentissage que l’écriture apporterait à la main en développant des facultés de motricité fine chez les enfants. Tentons de regarder de la manière la plus objective possible ce qu’il en est vraiment.

L’écriture ferme l’horizon de l’enfant

Tout d’abord, chez les tout jeunes élèves, l’apprentissage de l’écriture ralentit l’évolution naturelle de l’enfant. Celui-ci a appris, en six ans, à se lever et marcher, à comprendre ses parents et son entourage, à parler, à construire de ses mains des univers toujours plus élaborés, à élargir ses horizons de conquête du monde, de victoires sur l’inconnu toujours plus importantes. Et soudain, il faut réduire son champ d’exploration à une feuille minuscule, son moyen d’expression à de petites lignes courbes entremêlées.

Avant de pouvoir repartir et se libérer vers la douzaine d’années plus tard avec le bac, le geste s’atrophie et demande au corps une contrariété dont peu sortiront indemnes. De plus, il faut noter que les représentations des deux apprentissages fondamentaux, dès six ans, affichent des formulations très éloignées pour l’esprit d’un enfant : la lettre parfaite du livre étant mise en concurrence avec son propre graphisme hésitant.

Le clavier fut pour moi une libération salvatrice

Seuls les plus habiles, seuls ceux qui font preuve de la plus grande abnégation tireront quelques bénéfices de l’apprentissage de l’écriture. Les autres, dont je fis partie, redouteront, leur vie durant, le contact de la plume. Le clavier fut pour moi une libération salvatrice. À ce stade, l’école en voulant gommer les inégalités les accentue. Nous verrons plus loin qu’il n’est nullement question de supprimer l’écriture mais de lui donner une toute autre place.

Tentons-nous parfois de nous remettre à la place de ces jeunes corps à qui l’on dicte de nouvelles règles pour emprisonner des mots dans une main ? Les notions sont difficiles, abruptes. Elles deviennent d’une lenteur insupportable et se fracassent, tels des corps projetés par l’arrêt brutal d’un véhicule. Aucun train n’entre en gare sans se départir de l’inertie nécessaire au confort et à la sécurité de ses passagers.

À l’heure où il est question des rythmes de l’enfant, la contrainte est terrible, la fracture entre les petits êtres devient béante.

On se soucie davantage de la santé des salariés

L’enfant est soumis à un conditionnement de postures contraignantes. Les professeurs des écoles n’ont pas toutes les compétences d’un ergonome et ne peuvent corriger les crispations de la main et du bras, les problèmes de dos, les dérives liées à une mauvaise latéralisation.

Il ne viendrait plus à l’idée, dans une entreprise qui respecte ses salariés, de ne pas se préoccuper de leur bien-être physique. D’ailleurs, de nombreux accords ont même été signés entre les partenaires sociaux et l’État concernant la santé au travail.

L’écriture comme discipline à part entière

Il ne faut certainement pas abandonner l’écriture. Il faut seulement lui donner une autre place, peut-être plus importante encore, mais pas essentielle pour la communication. L’apprentissage devrait être organisé de manière différente, tant dans le temps que dans l’espace. Il aurait toujours fallu voir l’écriture comme une façon de découvrir le prolongement de soi, sur une feuille, un tableau. Plus tard l’écriture devient alors le partenaire du devoir, du cours dont on peaufine la structure en améliorant la tenue de la main.

L’écriture deviendrait une discipline à part entière, apprise, améliorée, perfectionnée au cours des ans. Elle deviendrait un art obligatoire de la calligraphie ; des pays comme le Japon ou la Chine l’ont compris bien avant que ne naisse notre écriture. Celle-ci peut être un vecteur d’épanouissement artistique et intellectuel au même titre que le dessin, la musique, la danse, le théâtre, la poésie…

On peut imaginer qu’en parallèle du clavier azerty, l’entraînement à l’écriture manuelle tende à faire en sorte que trois étapes soient franchies sans encombre :

– L’arrivée en sixième avec une calligraphie spontanée qui laisserait toute sa place à la concentration nécessaire pour approfondir les règles des disciplines enseignées

– Le passage au lycée pour lequel la main deviendrait virtuose pour transformer un devoir en une œuvre belle à voir, le passage dans la vie active,

– Après le bac ou plus loin, où l’écriture serait un moyen de puiser dans ses racines la force de se battre dans un monde de plus en plus féroce

Peut-on se contenter de ce que l’écriture ne soit qu’un outil incomplet ou une réalisation de soi inaboutie, une souffrance déclarée utile et un acte inévitablement manqué ? En graphologie, les signes émis donnent un aperçu de la personnalité mais pourquoi pas aussi un constat d’échec de l’apprentissage de l’écriture !

Les nouvelles technologies offrent plus de fluidité

Les nouvelles technologies sont idéales pour organiser l’intégration du système d’expression écrite, à l’aide du clavier, du traitement de texte, de la reconnaissance vocale, des jeux… Il suffit d’observer un enfant qui ne sait encore ni lire ni écrire, à peine parler. Il utilise une tablette et découvre de manière instinctive les subtilités de son fonctionnement.

Toujours en parallèle, l’écriture manuscrite serait acquise au rythme de chaque enfant.

Dégager du temps pour travailler l’oral

Le temps utilisé à dompter, souvent très mal, la main pour écrire doit être partagé pour favoriser l’expression orale qui fait défaut à une majeure partie de la population. Un des critères déterminants, que ce soit pour l’entrée dans une école ou que ce soit pour un entretien d’embauche, est souvent la maîtrise orale. Un individu qui sait structurer sa pensée pour parler simplement à ses pairs équilibrera ses écrits qui seront fluides, élégants, convaincants et sincères.

Ce billet a été rédigé à l’aide d’un logiciel de reconnaissance vocale. Ni plume, ni clavier. Nous sommes ici en face d’une troisième réalité : la technologie se répand plus vite que ne résistent nos vieilles croyances. De se demander si cela est bon pour l’humanité ou pas n’empêchera pas l’homme de devoir s’adapter au monde qui l’attend demain.

Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
Publications: 184