Marine Le Pen et l’extrême-droite : l’Autriche en guise de modèle ?

Tournons un regard vers l’Autriche, qui a déjà fait un pas vers l’intégration de l’extrême-droite dans sa vie politique, et surtout représentative.

Aujourd’hui, visite à Vienne, berceau du fascisme, un des fers de lance de l’extrême-droite. 7500 français sont recensés dans ce pays, dont 2/3 dans la capitale (chiffres obtenus au Consulat de France en Autriche).

La place de l’extrême-droite en Autriche : une marque du passé ?

Ce pays vit encore tout à fait normalement, sans crainte immédiate de dérapage nationaliste, mais le fait qu’une fraction toujours plus importante de la population européenne se laisse tenter par les théories ultra nationalistes de partis populistes donne à réfléchir au sens que chaque citoyen accorde au mot « démocratie ».

L’Autriche, petit pays de 8 millions d’habitants, se défend d’être allemande et n’a pas oublié le faste passé de l’empire austro-hongrois. Presque un quart de sa population vit à Vienne. Comme dans beaucoup de grandes villes, la population est découpée en quartiers, un peu comme dans le boeuf, ou plutôt le cochon, de qualité inégale (en termes de niveau de vie).

Les arrondissements autour du centre sont huppés, et le 16ème, contrairement à Paris, s’est transformé en un ghetto qui accueille la population immigrée, essentiellement composée de yougoslaves et de turques.

Il semble que, malgré l’adoption en 2004 d’une loi anti-discrimination, le « droit du sang » entraîne toujours la nécessité de 10 ans de résidence continue, de l’abandon de sa nationalité d’origine et d’être capable de répondre à un test de connaissances en langue allemande pour obtenir la nationalité autrichienne.

Un parti d’extrême-droite aux revendications nationalistes assumées

L’Autriche a le plus grand pourcentage d’immigrés parmi les démocraties industrielles avec 16%, devant la Suède et l’Espagne (14%), les États-Unis (13%) et la France (11%), puis les Pays-Bas et le Royaume-Uni (10%) et ensuite la Belgique (9%) et l’Italie (7%).

En passe de devenir la première force politique en Autriche, le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs) a comme thèmes forts, entre autres, la lutte contre l’immigration extra-européenne, ainsi que le renforcement de la famille et de la natalité européenne.

Le FPÖ réclame également un référendum sur l’interdiction du voile islamique et des minarets, et revendique la neutralité de l’Autriche, considérant l’union européenne comme un obstacle à sa liberté. Pour terminer, la protection sociale ne doit être accordée, d’après le FPÖ, qu’aux autrichiens.

Le leader actuel du FPÖ, Heinz-Christian Strache, recueille en 2010, lors de sa candidature à la mairie de Vienne, 27 % des suffrages (en progression de 12 points).

Heinz Christian Strache, leader du FPÖ (Ronald Zak/AP/SIPA)

Un dernier sondage, établi le 27 novembre dernier, donnait 27% au FPÖ au niveau national, en progression de 9,5%, juste derrière le SPÖ (Parti social démocrate) à 28 %.

La porte ouverte à une montée généralisée des partis d’extrême-droite ?

En regard, Marine Le Pen peine à 13% en France : mais attention, c’est un chiffre de base, qui précède une campagne électorale dont on ne sait de quel bois elle sera faite.

L’Autriche nous montre qu’il y a durablement un terrain favorable pour les partis d’extrême-droite, et qu’il suffit de pas grand chose ; d’ailleurs, souvenons-nous de 2002, qu’on avait mis frileusement au crédit d’un mauvais Jospin ! Combien entend-on, dans les conversations, d’électeurs du Sarkozy 2007 penser sérieusement à Le Pen 2012 !

Revenons à Vienne quelques instants. Il n’y avait qu’à voir le petit sourire fier de mon guide d’un jour (un peu celui de certains français lorsqu’ils parlent de Napoléon), enseignante de français, lorsqu’elle s’arrête devant le balcon de la Hofburg, le palais impérial de Vienne, en me racontant que c’est là qu’Hitler a proclamé officiellement l’Anschluss (le rattachement), au surlendemain de l’entrée des troupes allemandes dans son pays natal, la Basse-Autriche, le 12 mars 1938.

Le 14 décembre dernier, Heinz-Christian Strache disait, lors d’une interview au média d’extrême droite Novopress :

« Nous soutenons la construction d’une Europe puissante pour parer aux menaces comme le terrorisme, l’islamisme agressif, l’impérialisme américain et l’agression économique à partir des pays à bas salaires. »

Le conseiller municipal de Vienne a de quoi converger avec Marine Le Pen, ce qu’ils firent d’ailleurs le 8 juin 2011 sur un thème que les médias autrichiens reprenaient comme suit : Suche nach Anschluss (« À la recherche d’une connexion, d’un rattachement »), lors d’une conférence de presse au cours de laquelle la frontiste affirmait :

« Outre son poids économique négatif, quoi qu’en disent certains ‘experts’ à la solde des officines mondialistes, l’immigration massive est aussi une menace en terme de pérennité de notre civilisation.

L’explosion du communautarisme porte en lui le germe des crises sociales, mais aussi ethnico-religieuses si rien n’est fait démocratiquement mais fermement pour y remédier. Le multiculturalisme est enfin reconnu par certains de ses promoteurs comme non seulement un échec mais un danger pour nos démocraties. »

À cela il est tentant, et il faut le faire, d’opposer la théorie étayée de deux spécialistes, Ian Goldin et Geoffrey Cameron, qui affirmaient dans Les Échos du 11 juillet 2011 :

« Une immigration plus importante est souhaitable au niveau mondial pour quatre raisons : elle est source d’innovation et de dynamisme, c’est une solution au manque de main d’œuvre, elle répond au problème du vieillissement de la population dans les pays développés et elle permet aux immigrés d’échapper à la pauvreté et aux persécutions.

Par contre, sa limitation freine la croissance économique et mine la compétitivité à long terme des pays qui choisissent cette voie ; creusant les inégalités et accentuant les clivages sur la planète, elle constitue un obstacle à la prospérité. »

L’immigration, l’avenir du monde

Deux thèses antinomiques s’opposent, peu ou pas de juste milieu si ce n’est que le traître terme d’immigration maîtrisée ! Et pourtant, en France, il y a actuellement 14 millions de personnes immigrées ou ayant au moins un parent ou un grand-parent immigré. On peut découvrir les conclusions de Michèle Tribalat, de l’Institut National d’études démographiques, dans son rapport de 2004 basé sur le recensement de 1999.

On remarquait une stabilité par rapport à celui de 1986. Enfin, en 2002, Gérard Noiriel estimait cette proportion à environ un tiers des français si l’on remonte jusqu’aux arrière-grands parents (Atlas de l’immigration en France (2002), éd. Autrement, 2002, p. 11).

Que seraient les différents pays occidentaux si cet afflux de migrants n’avait pas eu lieu ? Nous pourrons nous poser la question dans 50 ans, à la seule condition que nous ne soyons pas embarqués dans une politique ultra-nationaliste dangereuse et inconsciente.

Puisque nous sommes à Vienne, découvrons une des maximes de Hundertwasser, le concepteur entre autres, de l’incinérateur à ordures ménagères de Vienne, qui assure aussi la distribution d’eau chaude allant jusqu’à près de 15 km aux alentours, et pour qui la fenêtre est le centre de l’architecture : « Si quelqu’un rêve seul, ce n’est qu’un rêve. Si plusieurs personnes rêvent ensemble, c’est le début d’une réalité ! »

Que cette belle citation soit reprise par un candidat à l’élection présidentielle de 2012 et qu’il se préoccupe réellement de bâtir une France nouvelle.

Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
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