Bayrou fait ses propositions pour l’Éducation : naïf parfois, pas précis souvent !

François Bayrou a communiqué ses choix en terme d’Éducation , samedi 4 février, devant 700 personnes réunies à Paris. Des portes ouvertes enfoncées, des procédés d’intention sans réels conviction. On reste sur notre faim, il y a encore bien trop de flou dans ces propositions, notamment en terme de mise en œuvre et d’efficacité.

Nous allons reprendre point par point les propositions et les commenter. Merci Monsieur Bayrou de nous procurer la possibilité de cet exercice qui finalement permet de se mettre les idées au clair, à défaut que les vôtres le soient réellement.

 

« Faire entrer l’école française dans les cinq ans dans les dix premières du classement international pour la compréhension de l’écrit, du calcul, des connaissances scientifiques et de la lutte contre les disparités sociales« .

1- Il faut un contrat de progrès entre l’école et la nation. Ce contrat doit garantir les moyens existants, et préciser les objectifs que la nation assigne à l’école. Le progrès que nous nous assignons, il doit être vérifiable. C’est pourquoi je fixe un objectif : que dans les cinq ans, l’école française entre dans les dix premiers du classement international pour la compréhension de l’écrit, le calcul, les connaissances scientifiques, et la lutte contre les disparités sociales.

De promettre que la France soit dans les 10 premières nations du classement international ne garantit pas la qualité de l’accueil et la santé du système scolaire. Lorsqu’on sait que l’OCDE, organisme à la solde de la libéralisation de l’éducation produit les résultats de PISA, ne nous affolons pas de ses conclusions et travaillons sur nos spécificités françaises.

2- Au lieu d’être dans la « réformite », il faut un plan de progrès continu, inscrit dans le long terme. Pour vraiment changer les choses, il faut cesser d’aller en fausses « réformes » en fausses « réformes », qui ne changent rien sur le fond, mais déstabilisent perpétuellement l’éducation nationale et le moral, la confiance professionnelle des enseignants et des parents. C’est de la fausse monnaie.

Tous les ministres de l’Éducation Nationale ont clamé haut et fort leur détermination à mettre en place des réformes salvatrices : d’ailleurs, Monsieur Bayrou n’a-t-il pas été Ministre de l’Éducation Nationale du 30 mars 1993 au 4 juin 1997, pendant plus de 4 ans. C’était tout à fait suffisant pour marquer un tournant : et si l’école avait été sauvée à l’époque, ça se saurait !

3- Refaire de l’école un lieu d’où la violence est exclue et où le respect est la règle.

Avec quels moyens ? Les enseignants deviennent des matons et des machines à sanctionner… non merci ! Ceci est trop vague, précisez votre pensée ! Dommage l’idée est bonne.

4- Il faut restaurer la confiance de la nation dans ses enseignants. Je ne suis pas pour qu’on remette en cause le décret des années 50 qui définit le statut des enseignants. La définition du temps de travail est légitime. Il peut être réaménagé sur la base du volontariat, on peut faciliter si on le souhaite une présence plus longue dans l’établissement, par exemple en construisant des bureaux, mais les procès doivent cesser.

Ceci est incompréhensible. La confiance envers les enseignants est un faux problème. Il est vrai qu’il faut plus de considération de la part de l’État, l’employeur et l’organisateur, mais de là à mettre la Nation au coeur du problème c’est déjà, avant même d’être au pouvoir, désengager l’administration sur ses responsabilités. Quant au temps de présence dans les établissements, promettre la construction de bureaux est irréaliste : il faut en prévoir environ 850 000 !! Et on j’arrive même pas à faire les 500 000 logements sociaux nécessaires par an pour résorber la précarité locative. OK, pour rester plus longtemps dans les collèges et lycées ( et ceci est un discours second degré, le premier degré n’est pas directement concerné, ou plutôt a d’autres problèmes), mais alors rien à faire à la maison. Ce qui veut dire que les bureaux, s’il y en a, doivent être équipés et si possible non collectifs.

5- Les concours de recrutement nationaux sont la voie la plus républicaine et la plus légitime pour sélectionner les enseignants du second degré. Ils sont anonymes, ils sont justes, ils permettent de juger de la qualité d’une génération de candidats. Ils font partie de la fierté des corps d’enseignants en leur garantissant une légitimité.

6- La reconstruction d’une année de formation, en alternance avec l’exercice dans la classe, est impérative et étroitement liée au contrat de progrès de l’éducation nationale. Il s’agit du moyen de familiariser les enseignants recrutés et débutants avec l’expérience de leurs collègues plus expérimentés et assurés. Il s’agit d’armer les jeunes enseignants et de leur faire gagner des années d’expérience.

7- La notation pédagogique des enseignants doit être assurée par des évaluateurs (corps d’inspection ou autres) expérimentés, de la même qualification au moins, de la même discipline et non par le chef d’établissement étranger à la discipline enseignée. Au demeurant, il n’y a rien à changer. Le chef d’établissement évalue déjà les capacités et les qualités des enseignants, individuellement, et son évaluation représente 40% de la note attribuée. J’ajoute que plus on trouvera d’éléments objectifs pour assurer l’évaluation, et plus j’approuverai.

8- Arrêter avec les surcharges administratives, la multiplication de réunions, l’avalanche des livrets de compétences. À l’école, comme dans tous les autres secteurs d’activité, la surcharge paperassière étouffe, asphyxie, et ne sert à rien. Idem avec les circulaires de toute nature!

Sur ces points, on est d’accord. Il reste à mettre en place, tout de même, le recul de la charge administrative. Lorsqu’on connaît la lourdeur de l’institution, on peut douter que 5 années suffisent.

9- D’abord les bases et les bases d’abord ! Il n’est aucune chance de réussite pour un élève qui n’a pas la maîtrise des fondamentaux. Je proposerai que tant que cela est nécessaire 50 % du temps scolaire à l’école primaire soit consacré à la maîtrise de l’écrit, comme on dit actif et passif, et à la langue française, en sa beauté à découvrir, à ce qu’elle peut exprimer de nuances, de richesses, en son vocabulaire. C’est un bagage pour la vie.

Une intention de plus pour le premier degré, et si on laissait aussi aux enseignants la possibilité de s’adapter à son public. Attention, ne s’attacher qu’aux bases peut tirer le niveau vers le bas et avoir l’effet inverse en termes de niveau général.

10- Les principales difficultés des élèves très jeunes sont psychoaffectives. Elles ne sont pas, la plupart du temps, d’ordre pédagogique ou de l’ordre des « capacités » comme on dit. Les repérer tôt, par une formation et un réseau adapté, c’est donner une chance de les résoudre, soit au sein de l’école, soit plus souvent encore auprès des pédopsychiatres.

Une étude psychologique sur un cas particulier tient en une somme de résultats conséquente. Il est vrai qu’il faut faire entrer le psychoaffectif dans le scolaire, mais si on laisse les moyens aux professeurs des écoles. Attention à ne pas entrer dans des considérations générales qui alourdiraient les fonctionnements. Alors repérage précoce (déjà fait bien souvent) oui, mais de véritables moyens d’accompagnement sont nécessaires, et doivent être chiffrés !

11- Le premier lieu de l’éducation, c’est la famille. Favoriser la mise en place « d’écoles de parents » associatives pour aider ceux qui ont des difficultés à accompagner leurs enfants.

Des écoles de parents ? Avec quelles associations ? Il est vrai que les familles doivent prendre leur responsabilité… mais il semble difficilement surmontable de convaincre les parents démissionnaires de s’investir, c’est justement là leur problème. Alors méthodes dures, ou obligation dans la scolarité de l’enfant qui pourrait avoir une note d’accompagnement parental. Ce point est vertueux, mais il faut résolument penser sa mise en place.

12- La question des méthodes pédagogiques doit être tranchée non pas par l’idéologie, mais par l’évaluation des résultats. Ne croyez pas que comme tous les parents et tous les enseignants, je n’ai pas une opinion que je crois solide et nourrie par l’expérience. Par exemple, je pense que la question des méthodes de lecture devrait être tranchée depuis longtemps : en effet le clavier, avec lequel désormais toute personne vit, le clavier ce n’est pas global, c’est lettre par lettre. Et donc du son à la lettre, de la lettre à la syllabe, de la syllabe au mot, cela me paraît devoir être la démarche désormais indiscutable. C’est une opinion personnelle, je la trouve pertinente. Mais ce n’est ni au gouvernement ni au président de la République de trancher des méthodes d’apprentissage. C’est à la classe, aux résultats effectifs, à condition qu’aucune méthode ne se voie exclue pour raisons idéologiques.

Tout à fait ! Chiche : aucune méthode ne doit être exclue pour raisons idéologiques !

13- Aucun élève ne doit entrer au collège sans qu’il soit garanti qu’il maîtrise la lecture et l’écriture. S’il est en défaut, une pédagogie adaptée doit lui permettre de reconstruire son rapport à l’écrit. Le but n’est pas d’exclure, mais d’intégrer les élèves qui, autrement, seront perdus dans leur scolarité.

Et si malgré toutes les bonnes intentions un élève ne maîtrise pas la lecture et l’écriture, et cela arrivera, il ne doit pas entrer au collège ?

14- Pour prévenir ces échecs, il faut penser le nombre d’élèves par classe en fonction de la réalité de la classe. À classe difficile, petit nombre d’élèves, à classe équilibrée et de bon niveau, plus grand nombre d’élèves.

Bonne idée, mais il faudra revenir sur 5 années de montée en puissance d’effectifs par classe… il est plus facile d’enlever des moyens que d’en remettre. Alors comment procéder ?

15- Le collège doit être diversifié. Il est normal et juste que la nation veuille garantir un bagage à tous les enfants. Mais ce bagage de connaissances et de méthode ne peut être apporté dans l’uniformité. Pour un certain nombre d’élèves, en situation de rejet de l’école, un « collège hors les murs », avec des pédagogies adaptées, doit permettre une reconstruction et le retour, s’ils le souhaitent, à la voie classique.

Monsieur Bayrou avait déjà relevé en 1994 que le  » collège soit unique, mais uniforme donc injuste « . Alors un espoir, s’il est élu qu’enfin le collège soit au centre de préoccupations de réel accompagnement de l’élève ?

16- Dans chaque discipline, le « apprendre à apprendre » et le retour assidu aux bases doivent servir de socle. Les programmes doivent être écrits avec les enseignants en imposant la faisabilité sans précipitation, et la simplicité. Je propose qu’un débat parlementaire permette d’exposer à la nation le principe des programmes et leur lisibilité

17- Informer les élèves sur ce qu’ils ne maîtrisent pas : les codes de comportement, d’habillement, de langage, les chemins de la confiance en soi.

Aider les élèves à apprendre et leur permettre de maîtriser des codes sociétaux : rien à y redire, cela va de soi !

18- Les rythmes scolaires doivent être reconstruits. Il n’est pas normal que l’école française soit celle qui concentre le plus d’heures sur le moins de jours de classe. Les horaires des élèves, devoirs compris, ne doivent pas dépasser une charge horaire d’une trentaine d’heures par semaine, ce qui veut dire un allègement des horaires pour un grand nombre d’élèves. Les heures ainsi gagnées seront utiles aux enseignants pour le travail en commun, aux établissements pour des programmes au choix.

Vieux serpent de mer ! Il ne suffit pas de décréter, il faut mettre en place et convaincre toutes les organisations syndicales du bien fondé de telles mesures. Ce n’est pas gagné, ou alors à passer en force et contre toute logique comme le Président de la République actuel.

19- Les devoirs doivent être faits dans le cadre de l’établissement, sous la surveillance de tuteurs, les enseignants de l’établissement s’ils le souhaitent, des enseignants à la retraite, des étudiants qui recevront une bourse pour se familiariser ainsi avec l’enseignement et servir de « grands frères », de tuteurs et d’appui aux élèves plus jeunes. Ces bourses de tutorat doivent être offertes à coût réduit, aisément accessibles. Elles pourront être offertes, en complément de leur retraite, à des enseignants qui voudront encore servir. Elles accroîtront la présence des adultes dans les établissements.

Et si on pensait enfin à dire que le temps de cours devrait être suffisant pour savoir ce qu’on doit savoir, avec un appoint certes extérieur. Aide à la concentration, méthodologie, parfaite articulation des apprentissages du CP à la Terminale. Mais cette idée de travail par tutorat est à creuser.

20- Donner aux chefs d’établissement des possibilités nouvelles : recrutement direct des remplaçants, gestion d’un volume d’heures pour organiser des soutiens individualisés ou en petit groupe.

Autonomie des chefs d’établissement, dites-le donc ! Au lieu de parler de possibilités nouvelles. Le recrutement direct des remplaçants se ferait avec quels critères ? Et comment avoir accès à eux alors qu’une administration organisée en ce sens, regroupant les volontaires, n’arrive pas souvent à s’en sortir. Il y a une solution : avoir des titulaires remplaçants, avec un vrai statut et une vraie mission. Il est plus facile de proposer le recrutement sauvage que d’oser une organisation logique.

21- L’enseignement professionnel doit reposer non pas sur l’élimination mais sur la vocation, par la découverte des métiers, par l’alternance ou l’apprentissage.

Et par la réelle mise en valeur de la filière professionnelle, dans l’esprit des familles, de l’administration, des enseignants et des élèves. Gros chantier en perspective, mais intéressant !

22- Information sur les métiers tout au long du collège, découverte des entreprises et des chantiers, pour que les élèves découvrent ce que sont ces activités qu’ils n’ont jamais rencontrées. C’était déjà l’idée du stage en 3e que nous avons créé en 1995.

Hum, à cet âge rares sont celles et ceux qui peuvent se déterminer sur un métier. Au mieux, l’attrait pour une formation ou une autre. En ce qui concerne le stage en 3ème, c’est pas idiot du tout. Il est souvent très apprécié et formateur. Les élèves prennent souvent une maturité nouvelle en quelques jours.

23- Un plan de développement de l’apprentissage et de l’alternance. Question: qu’est-ce qui bloque? Pour les entreprises, du côté de l’éducation, destination de la taxe d’apprentissage.

Bingo, mais il faut payer les apprentis à la juste valeur de leur investissement : un SMIC minimum, quelque soit l’âge d’entrée en apprentissage, et une garantie de formation à long terme si souhaité. Les entreprises doivent aussi jouer le jeu et être incitées à aller vers l’alternance.

24- Contre la double pénurie de scientifiques et de littéraires, réfléchir à l’organisation des baccalauréats, notamment la réflexion sur un baccalauréat d’excellence générale, à la fois littéraire et scientifique.

Ça ne mange pas de pain : si on s’occupe des élèves en difficulté, il faut donner aussi à manger à ceux qui ont faim. Faisons-le plus, mais en respectant les deux bouts scrupuleusement : les démunis et les privilégiés !

25- Refonder l’articulation entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, c’est une clé pour lutter contre l’échec des premiers cycles à l’université. L’université, c’est la connaissance que l’on se construit autant qu’on la reçoit, c’est la recherche, dès les premières années, c’est un exercice d’autonomie. Il faut former à cette autonomie en terminale, refondée en une véritable « propédeutique ».

Des lycéens autonomes. C’est bien de le déclarer, mais dans la réalité les élèves sont de plus en plus consommateurs et attendent de leurs enseignants les efforts qu’ils ne font pas. C’est là le cœur du problème qui passe au-delà d’une « véritable propédeutique » (Qui facilite l’apprentissage d’autres choses. )

26- L’orientation, c’est une ardente obligation. On doit y préparer tout au long de l’enseignement secondaire et d’abord à l’entrée de l’université, par une information objective sur les sorties d’étude dans la formation considérée.

Probablement  un point qui ne devrait pas se trouver en 26ème position tant il est primordial !

27- Assurer la scolarisation des enfants en situation de handicap. Des progrès ont été faits. Mais des obstacles demeurent. Beaucoup d’enseignants se sentent démunis. Cette question sera abordée dans le cadre d’une conférence nationale sur le handicap.

Allons-y, les normes d’accueil en établissement sont quasiment en place et doivent être opérationnelles en 2015. Intégrer dans les classes traditionnelles déroute les enseignants et les élèves parce que la prise en compte du handicap est trop souvent « bricolée ». AVSI et AVSE font un boulot formidable, il y en a trop peu !

28- Plan santé, addictions, cannabis, alcool, mobilisation des étudiants en médecine dans tous les établissements scolaires de l’enseignement secondaire.

Rien à y redire, mais il faudra aussi demander aux étudiants en médecine de sensibiliser sur les addictions médicamenteuses qu’ils mettront en place lorsqu’ils seront en exercice ! Et ce n’est pas une blague, c’est un véritable fléau en France.

29- Réflexion générale sur l’éducation numérique. Très importante pour l’avenir. Il n’y a pas d’éducation entièrement dématérialisée, et déshumanisée, mais les ressources du e-learning sont pour l’avenir un immense enrichissement des possibilités de formation et de découverte.

Le E-learning est en contradiction avec le point 10 qui met l’accent sur le côté psychoaffectif de l’enseignement, alors attention avec ces procédés qui détruisent le lien !

30- Ouvrir les établissements en dehors des heures de cours à la demande d’éducation de la société. Une « école du soir », à la demande, avec une contribution modeste des apprenants, doit être ouverte dans tous les établissements du second degré. L’initiative viendra de la demande de ceux qui veulent apprendre.

Un plus qui permet de tomber sur un chiffre rond de propositions… pourquoi pas, mais une politique nationale à ce sujet est difficilement envisageable et serait surtout viable à l’initiative locale.

En définitive, ces propositions ont le mérite d’exister, mais ne donnent pas d’assurance sur leur existence future. Trop vague, et parfois à la limite d’une idéologie de comptoir. Par contre, la tonalité générale se veut rassurante et, pavée de bonnes intentions, semble aller vers une école structurée. Malgré des remarques de notre part parfois sceptiques, nous ne demandons qu’à connaître la suite et les développements sur ces points.

Voir articles connexes :

Le Monde, Elle, Le Parisien, Les échos, 20 minutes

Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
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